Pendant 6 mois, j’interviens en séances de médiation corporelle individuelles au sein d’une association de Protection de l’enfance qui accueille des enfants et jeunes adultes.
Aiko est une jeune femme de 22 ans qui est maman depuis quelques mois. L’équipe me demande de la recevoir car la grossesse a été assez difficile psychiquement et Aiko montre le besoin de se recentrer sur elle-même, ses propres émotions et sensations. L’équipe constate également que le lien affectif et physique de cette mère avec son bébé n’est pas aisé.
Aiko me fait part dès la première de son état de fatigue et de dépassement. En effet je perçois en elle quelque chose qui semble « au-dessus », quelque chose qui lui demande d’aller beaucoup plus loin que ce qu’elle peut réellement donner là, maintenant. Elle exprime un besoin de calme, de repos, et de solitude.
Aiko peine à « se tenir » et tout mouvement semble terriblement coûteux. En posture allongée pourtant, Aiko ne relâche pas sa vigilance. Elle se tend, bouge dans tous les sens, les yeux faisant des droite-gauche incessants : « c’est beaucoup de choses dans ma tête », me dit-elle.
Et pourtant à chaque séances Aiko est ravie de venir, c’est comme un soulagement pour elle. Un moment où en fait, personne ne lui demande rien. Car c’est sans doute une sorte de sur-sollicitation qu’elle vit dans le lien avec son bébé. Un trop-plein d’informations et de disponibilité couplé à une difficulté de perception et d’expression de ses propres émotions. Pour Aiko, cela créé intérieurement un sentiment d’insécurité, de menace, et finalement, d’épuisement.
Alors je laisse la place à ce repos d’exister, et je crée les conditions possibles pour qu’elle-même se sente portée.
Aiko, qui traduit ce qu’elle me dit avec une application en ligne, se saisira très vite des supports visuels permettant d’identifier l’émotion présente pour elle, et le besoin qui est lié. Cela devient un rituel de début de séance, comme pour lui permettre aussi à elle-même de valider intérieurement ce qu’elle ressent.
L’accompagnement se ritualise lui aussi progressivement en deux temps : un premier temps pour l’aider à sentir qu’elle se pose par un travail de respiration accompagné de ses mains afin de focaliser la perception. Puis un deuxième temps en massage, d’abord du haut du corps et notamment de la tête, et enfin de tout le corps par un travail de pression permettant de ressentir l’intégralité corporelle.
Je vois Aiko qui au fil des séances se laisser porter : relâchement du corps, respiration profonde, atteinte d’un autre niveau de conscience, voire assoupissement. Le silence, le repos redonnent alors l’espace nécessaire pour que les informations accumulées -psychiques, émotionnelles et corporelles- soient traitées. Le mental a moins besoin d’être sollicité car de l’espace est donné au corps.
La perspective d’un accompagnement commun avec son bébé me semble encore trop précoce, tant ce qui est en train de se déployer dans cette espace individuel reste à la fois nécessaire et fragile. Mais souvent j’évoque son bébé, faisant les liens entre ce qu’elle vit en séance et ce dont son bébé a besoin pour lui aussi se sentir en sécurité affective et physique. On tisse ainsi par la présence consciente le lien mère-enfant.
Aiko est déçue lorsque les séances s’arrêteront. C’est toute la limite de mes interventions, qui ne durent qu’un temps et qui sont de fait soumises aux choix financiers des institutions.
La dernière séance, comme pour intégrer ce portage encore un peu plus en elle, Aiko s’endormira pour la première fois complètement, le corps et le visages détendus…