Deux jours par semaine, je suis présente auprès de ces jeunes en dehors du système, et bien souvent en dehors d’elles-mêmes. Toutes ont des parcours de vie extrêmement traumatiques. Leur mode de vie est construit dans la survie et leur corps est en permanence au front de la bataille, malmené et réceptacle de toute la violence.
Je réaménage une petite salle douillette sous les combles, qui sera mon lieu de soin pour ces jeunes filles, à proximité de leur foyer. Table de massage, balles sensorielles, tapis, petites lumières : un univers sensoriel qui se veut résonner avec apaisement et sécurité.
Assez vite, elles tissent une place et un discours autour de moi. Et à celles qui sont nouvelles : « Quoi ? t’as pas encore fait les massages avec Camille ?? »
Je deviens la référence du moment de pause, du moment où leur corps vient à une autre place dans leur discours. S’articule alors quelque chose avec l’équipe qui les accompagne au quotidien, puisque davantage identifiée, on triangule, on joue avec cet espace d’un possible, d’un lieu de sas, de répit. Mais aussi d’un espace qui fait peur, qui demanderait de s’abandonner un peu, de baisser la garde. Certaines d’ailleurs ne passeront jamais la porte.
M., 17 ans.
A la première séance je perçois des tremblements légers mais remarquables lors des exercices de respiration. M. paraît encombrée dans ce corps bloqué et imposant. Ses gestes sont raides et minimalistes. Tout y est retenu : le souffle, la respiration, la voix, l’expression. Son enveloppe, elle la blesse très souvent : de profondes scarifications aux avant-bras, ventre et cou. C’est là qu’elle me demande du soin, et autour de mes gestes des mots se disent. M. expérimente de nouvelles sensations. Elle nomme ce qui fait mal, mais aussi, petit à petit, ce qui fait du bien. Ces sensations vont faire échange entre nous et vont lui permettent de pouvoir parler de ce corps, et par petites touches, ouvrir un peu ce qui était scellé.
S., 15 ans.
A chaque séance, à peine passé la porte de la salle, S. me fait le « check-up » de ses blessures et de ses douleurs. Elle se blesse souvent, trébuche, se cogne. Elle est comme un tourbillon, passant d’un endroit à l’autre, d’une personne à l’autre, et quand elle vient en séance, c’est comme si elle venait s’échouer, enfin. Alors très souvent elle s’endort, après avoir épuisé les questions existentielles de sa place dans le monde. S. parle, parle, tout fuse dans son esprit. Je la masse, mes mouvements sont amples, réguliers, enveloppants. Je l’écoute, je laisse la tempête passer. Son débit de parole ralentit, sa respiration aussi. S. fini par s’endormir, alors je la laisse, dix minutes, qui lui paraîtront des heures. S. se réveille. En une seconde elle est debout : « ça fait du bien de ouf !! ». Elle prend sa veste comme si elle prenait finalement ce qu’elle avait à prendre dans cette séance, puis en coup de vent, repart : « tu m’oublies pas la semaine prochaine hein !» S. retourne happée dans son tourbillon… jusqu’au prochain amarrage.
Service thérapeutique et éducatif pour jeunes filles présentant des troubles psychiques.